Jérôme Dreyfuss : « Le cuir est un matériau écologique car durable, réparable et recyclable. »
Depuis 2002, et la création de sa marque de sacs moelleux et astucieux, le designer français travaille le cuir dans le respect des traditions et de ceux qui le tannent, le coupent et le façonnent. A l’aune d’une prise de conscience écologique et de l’essor du mouvement vegan, il explique pourquoi, et comment, le vrai cuir se révèle plus écoresponsable que le faux.
Il ne veut pas jouer les donneurs de leçon. Pas son genre. Mais lassé d’entendre tout et n’importe quoi sur les prétendus ravages du cuir pour la planète, Jérôme Dreyfuss a eu envie de prendre la parole. Il s’exprime au nom des artisans de la filière qui eux, ne l’ont pas. Pour mémoire, la filière du cuir fait vivre 130 000 personnes en France. L’entrepreneur explique, simplement, en quoi les cuirs de synthèse se révèlent bien plus polluants pour la planète que les peaux animales. A son échelle, avec une équipe engagée et respectueuse de l’environnement, Jérôme Dreyfuss entend célébrer le travail des artisans maroquiniers auxquels il confie la fabrication de ses sacs et de ses souliers. Comment ? En valorisant une production raisonnée, en poussant la qualité. En réduisant l’impact carbone de son entreprise parisienne. En ralentissant le rythme des collections. En imaginant des sacs pour les femmes d’aujourd’hui, dont elles ne se lasseront pas, et qu’elles auront à coeur de transmettre.
Pourquoi prendre la parole aujourd’hui ?
Pour expliquer les choses correctement, qu’on arrête de dire n’importe quoi et de diaboliser les clients du cuir. Chacun est libre d’acheter un sac en veau, en chèvre ou en agneau, ou de lui préférer un modèle en toile. Voir en plastique. Mais il est important d’acheter en connaissance de cause et de ne pas se laisser influencer par des informations erronées. L’écologie n’est pas mon domaine d’expertise, le cuir si. Il est temps de combattre les idées reçues et de parler au nom des artisans. Eux n’ont pas la parole. Ils n’ont pas les armes pour se défendre face aux armées bien pensantes. Le cuir est un matériau écologique ancestral parce que durable, réparable et recyclable. Un matériau noble, qui se patine, évolue et embellit avec le temps.
En quoi le cuir est-il un matériau écologique ?
Le cuir est issu de l’industrie agroalimentaire. Chaque année, cette industrie génère 17 millions de km2 de peau. La mode en réutilise une grande partie, tout comme l’ameublement, l’automobile... Non, les vaches, les chèvres et les agneaux ne sont pas élevés pour finir en sac à main, mais dans nos assiettes. De plus, si elle est bien entretenue, la peau animale a une durée de vie extrêmement longue. Nous travaillons chaque jour à l’allonger un peu plus en ne gardant que les matériaux de qualité, en favorisant le tannage végétal et en proposant des réparations.
Pourquoi les cuirs de synthèse se révèlent-ils plus polluants ?
Ils sont souvent recouverts de polyuréthane, issus de l’industrie pétrolifère. Sur le papier, les cuirs vegan en galettes de maïs ou épluchures de pomme sont formidables. La réalité ? Ils sont pelliculés de PU. Sans cela, ils n’auraient aucune résistance et ne pourraient être utilisés pour façonner des cabas ou des baskets.
Quelles sont les vertus du tannage végétal ?
Déjà, une vertu esthétique. Quand je me suis lancé en maroquinerie, en plein boom des it bags, les modèles vendus sur le marché étaient lourds et rigides. Les filles se cassaient le dos. Et puis ils étaient trop brillants, d’un toucher artificiel. Ça ne me plaisait pas. Depuis 2002, nous privilégions un rendu naturel, désireux de sentir le derme de la peau, la transparence de la couleur, et de conserver un moelleux. Le tannage végétal permet à nos sacs de vieillir avec amour : ils se patinent, embellissent avec le temps et n’en sont que plus attachants. Cependant, nous avons également recours au tannage au chrome. Les restrictions sont telles qu’à présent, et nous en sommes ravis, les normes sont drastiques et les systèmes de dépollution sous contrôle. Aucune particule chimique, aucun tanin n’est évacué dans la nature.
Vous êtes un fervent défenseur du made in France.
Nos cuirs best sellers, noirs, en cuir bubble et chèvre brillant sont réalisés dans le Tarn, à Graulhet et à Mazamet. Quand nous sommes allés voir ces tanneurs français, il y a presque vingt ans leurs usines étaient sur le point de fermer. Nous avons demandé d’utiliser un tannage végétal sur ce fameux cuir bubble. Il a connu un vif succès et a été très copié. Un mal pour un bien car cet engouement a permis de relancer la machine. Le cuir français, c’est ça. Ce sont les artisans. Ils ont un courage admirable, ils sont remontés en selle et aujourd’hui, ils prospèrent et oeuvrent pour les grands noms du luxe. Toutes nos peaux sont tannées en France et en Italie. Mais nous travaillons avec des artisans dont les ateliers sont situés en France, en Italie, en Inde, au Maroc, en Tunisie. Nos souliers sont façonnés au Portugal. Pourquoi pas uniquement en France ? Parce qu’il est plus prudent de ne pas concentrer sa production dans une seule usine ou un seul pays. Le bien être des salariés fait également partie de nos engagements sociaux. Les ateliers avec lesquels nous travaillons sont à taille humaine, comptant une centaine d’artisans maximum. Nous veillons à ce qu’ils travaillent dans les meilleures conditions, dans des espaces agréables. Enfin, nous leur garantissons, chaque saison, un minimum de commandes.
De quels animaux sont issues les peaux que vous utilisez ?
Surtout des ovins, chèvres et agneaux. Peu de vache. Nos sandales sont taillées dans une authentique vachette végétale, les peaux sont originaires de Bretagne. La filière du cuir travaille à une grande transparence et les bovins sont tracés, permettant de remonter toute la chaîne, de leur naissance à leur transformation. Pas les ovins, leur laine trop épaisse empêche encore le marquage. La seule chose sur laquelle nous n’avons aucune visibilité reste l’abattage. Les éleveurs eux-mêmes ne savent pas dans quelles conditions leurs bêtes sont tuées puisque les abattoirs dépendent de l’état, et non de l’industrie. Nous exigeons l’élevage en plein air, qui représente déjà une garantie de qualité. Mais nous ne pouvons pas aller plus loin, nous n’en sommes pas en mesure aujourd’hui. Notre expertise nous permet d’évaluer la qualité des peaux, de rejeter celles d’animaux malades ou gavés d’antibiotiques. Une peau d’agneau large comme celle d’une vache, c’est impossible. Concernant les peaux précieuses, encore très controversées, nous avons définitivement arrêté le crocodile mais continuons, dans des quantités moindres, d’avoir recours au python. C’est le seul animal à ne pas être élevé pour sa viande mais dont l’abattage est régi par la convention de Washington. Toutes les provenances des peaux sont mentionnées sur notre site, ainsi que leur lieu de tannage.
Quels sont les moyens d’assurer la longévité de vos sacs ?
Lors de chaque vente, nos équipes, ultra formées sur la question du cuir, conseillent la cliente sur l’entretien de son sac. Comment le nourrir, comment le protéger et ce en fonction de sa peau et de sa couleur. Nos modèles sont garantis six mois sur le papier, mais nous les acceptons au-delà, bien souvent jusqu’à un an après l’achat si l’usure n’est pas intentionnelle. Ensuite, quelque soit l’accroc, il est réparable sur devis. Mais il faut garder en tête que le sac se transforme naturellement. Il vieillit au bras de celle qui le porte, se patine.
« Ne pas être démodé, mais jamais trop à la mode, c’est ça l’idée. Au-delà du côté écologique, instaurer des classiques donne une valeur à la création. »
Ca veut dire quoi consommer moins mais mieux ? La mode, par définition, promeut la nouveauté chaque saison.
Je m’efforce de créer des classiques, dans l’espoir que les femmes les aiment et refusent d’en changer tous les six mois. Prenez un Billy de 2005, un Twee ou un Momo de 2011, ils ne sont pas démodés. Ne pas être démodé, mais jamais trop à la mode, c’est ça l’idée. Au-delà du côté écologique, instaurer des classiques donne une valeur à la création. Nous n’arrêtons pas de nous gargariser de travailler dans le luxe, mais qu’est-ce-que le luxe ? Le temps. Le temps de créer, de bien faire. Mon métier n’est pas d’aller fanfaronner sur les tapis rouges mais de rester dans mon atelier. Je me bats pour mettre en avant le produit et je m’efforce d’en développer moins. Chaque saison, nous reconduisons 40% de modèles déjà existants et dont elles ont envie. Je garde en tête qu’un sac à 500 euros, c’est une somme.
Quels points restent à améliorer pour aller vers une fabrication plus responsable ?
Arrêter de vendre des sacs ! Mais j’aime trop ça. Alors je poursuis le chemin emprunté, celui d’une production raisonnée et réaliste pour éviter le gaspillage et ne pas pousser à la surconsommation. Au fur et à mesure que nous grandissons, nous soulevons de nouveaux problèmes à résoudre. Par exemple, j’aimerais être plus irréprochable sur les conditionnements : nos sacs, bien que stockés à plat pour un gain de place, sont emballés dans du plastique. Ils sont vendus dans des tote bags en tissu mais même ça, ce n’est pas irréprochable. Il faut les porter 173 fois pour que leur impact carbone soit inférieur à l’émission de CO2 pour la production d’un sac plastique ! Et puis il nous reste à nous attaquer au problème du transport. La route est longue.
L’après Covid-19
Cette crise sans précédent renforce nos convictions : produire moins pour ne pas pousser à la consommation, réduire le nombre de collections annuelles, promouvoir les matériaux issus d’une agriculture raisonnée. Nous avons éliminé 60% des modèles prévus, j’espère que nous pourrons nous y tenir et arrêter d’être dans la course. Nous n’avons pas besoin de nouveautés tous les deux mois. Le confinement nous a permis de nous réinventer, nous avons shooté notre campagne de l’automne-hiver dans la forêt de Fontainebleau, en équipe réduite. Elle est formidable. Du côté de nos équipes, à Paris, le télétravail a été un succès. J’ai été épaté par leur adaptabilité. Comme tout le monde, nous mesurons les bienfaits du télétravail. J’ai envie de ça à présent, d’offrir une meilleure qualité de vie à mes salariés, d’arrêter de leur presser le citron.
A propos de Jérôme Dreyfuss
Jérôme Dreyfuss est un designer français, originaire de Nancy. En 2002, après avoir fait ses armes dans la mode aux côtés de John Galliano et lancé sa griffe de prêt-à-porter, il se consacre à la création d’accessoires et fonde sa marque de sacs à mains. Moelleux, souples et au tannage végétal artisanal, les sacs de Jérôme Dreyfuss baptisés de prénoms de garçons connaissent un rapide et vif succès. En 2008, il ouvre sa première boutique à Saint-Germain-des-Prés (Paris). En 2013, une gamme de souliers vient compléter la gamme. Toutes les collections sont disponibles sur www.jerome-dreyfuss.com
La Tannerie Rémy Carriat reçoit une nouvelle certification LWG BRONZE - Leather Working Group
Nous sommes heureux de partager avec vous les résultats de cet audit 2024.
Cette démarche a permis de...
Byo x tannerie Rémy Carriat
" Designer industriel de formation, la passion de Tommy Ambiyo pour la science-fiction confère une esthétique futuriste à...
BOSC x Tannerie Remy Carriat
Un canapé qui incarne une belle collaboration locale (très sud-ouest) entre deux entreprises dont le savoir-faire d'excellence a...